19 Novembre 2016
Nous avons eu des vacances scolaires par ici. Alors, nous sommes allés passer quelques jours à Moorea, mon fils et moi. Moorea, c'est l’ile qui se trouve juste à côté de Tahiti. « L’ile sœur », comme on l’appelle ici, est dotée d’un magnifique lagon.
J’ai toujours eu envie d’aller nager avec les baleines. En 18 ans de Polynésie, je n’ai jamais concrétisé cette envie. L’appel, depuis quelques temps, était devenu fort mais je n’y avais toujours pas répondu. Même là, ça paraissait compromis, la saison des baleines étant normalement déjà terminée. Elles repartent en octobre, or, nous étions le 9 novembre. Une impulsion pourtant me disait d’appeler une personne que connaît mon amie Maïa et qui pratique cette activité d’observation touristique.
Il m’annonce qu’il est le dernier à faire encore des sorties parce que quelques baleines sont encore là. Il a de la place pour le lendemain, nous prenons donc rendez-vous mais il me prévient que, même elles, risquent de ne pas être au rendez-vous. Je fais confiance à cette impulsion qui m’a dit de l’appeler. Maïa ressent, quant à elle, l’impulsion forte de nous accompagner. Elle s’organise et le lendemain, nous voilà sur le bateau dès 8h00 du matin. Notre accompagnatrice, Ariane, est une jeune française au physique de surfeuse, plutôt volubile. Le capitaine, un jeune tahitien, sympa mais peu loquace. Les deux font la paire ! Nous comprendrons au fur et à mesure de la matinée que ce sont deux passionnés. Ils sortent tous les jours et ne se lassent pas. Ils sont aussi dans un grand respect des animaux.
Un petit groupe de baleines a été vu de l’autre côté de l’île, ce matin. Une maman, son baleineau et ce qu’on appelle un mâle escorte. Nous faisons rapidement le tour en bateau et nous sortons du lagon. Je sens à ce moment-là que quelque chose se met à travailler fort à l’intérieur. Des peurs se mettent à remonter à la surface. Est-ce que je vais pouvoir nager en eaux profondes ? Une mémoire de vie antérieure où je me suis noyée en tombant d’un bateau revient me titiller. Est-ce que je vais savoir remonter sur le bateau ? Vu mon grand âge, n’est-ce pas, et mon habileté légendaire ... Est-ce que je vais réussir à approcher d’aussi grosses bébêtes ? Un cheval déjà me fait peur … Bref, ça remue.
Tout à coup, un souffle se fait voir. Nous nous rapprochons. On nous demande de nous préparer à descendre du bateau. Je sens que je ne vais pas pouvoir. Maïa me presse d’accompagner le groupe. Mais, non, je ne peux pas. Ca travaille de plus en plus intensément « en d’dans ». Je respire en conscience et laisse le travail se faire.
Les baleines finalement seront passées sous le nez du groupe sans trop se faire voir. Je n’ai rien manqué.
Nous continuons à les suivre. Rien que de voir déjà leur bosse et leur nageoire caudale qui surgissent hors de l’eau, parfaitement en rythme, c’est magnifique ! Ca ressemble à un ballet majestueux.
Sur le bateau, au sein du groupe, composé pourtant d’une majorité d’italiens parlant beaucoup et fort à l’arrivée, le silence se fait progressivement. Des « Ho !! Bello !! » se font entendre par moments. Nous sommes tous sous le charme.
Les baleines semblent s’être arrêtées. Nous ne les voyons plus à la surface. Le capitaine pressent l’endroit où elles se trouvent, plus en profondeur. Une deuxième descente se prévoit. Mon cœur s’est allégé. Mon désir de les voir dans l’eau est devenu le plus fort. Malgré tout, je descends du bateau après le reste du groupe. Dernières conseils utiles vis-à-vis de mon fils obligent : ne pas quitter Ariane notre accompagnatrice, être prudent, bien l’écouter, rester derrière elle comme elle l’a recommandé à tout le monde. Je suis donc un peu en retard. Maïa sait que mon beau courage tout neuf doit être accompagné. Elle reste à mes côtés. Nous palmons pour rejoindre les autres quand elle me fait un signe. Au fond, quelques lignes blanches, comme des traces de sable blanc sur un fond plus sombre, apparaissent. Je suis là, à me dire « Tiens, le fond n’est pas bien loin, finalement », quand je vois la tête d’une baleine en train de remonter à la surface. C’est le baleineau. Les traces blanches : les nageoires de sa mère … Le baleineau est en train de passer entre l’une de ses nageoires et son flanc. Il se frotte à elle dans une caresse émouvante, et passe sur elle, en nous montrant son ventre blanc. La mère remonte légèrement tout en restant dans sa position horizontale, nageoires déployées. Nous pouvons la voir bien plus nettement. J’aperçois aussi maintenant le mâle qui est positionné sous sa tête, à la verticale, nageoires également déployées.
Le baleineau caressant sa maman ... qu'on ne voit pas bien. Mais on voit mieux le mâle sur la droite.
Maïa et moi n’avons pas rejoint le groupe qui est un peu plus loin, de l’autre côté des baleines. Nous, nous sommes juste au-dessus ... J’essaie de ne pas paniquer mais quand même … je m’interroge … et si elles remontent jusqu’à la surface, ça se passe comment ???!! Je me mets moi aussi à la verticale dans l’optique de me retourner et de repartir en arrière, vers le bateau. Je palme comme une folle mais je n’arrive à rien et ne bouge pas d’un millimètre. Dans ma panique (oui, parce que, finalement, je panique …), je vois à la fois Maïa en train de faire des photos, visiblement pas stressée par la situation, le groupe – la sécurité – inatteignable mais aussi le baleineau qui a fait demi-tour, est maintenant à la surface et semble m’arriver droit dessus …
C’est un moment à la fois plein d’émotions pour moi mais aussi … de fascination. Le baleineau va, en fait, passer entre les deux groupes que nous formons, tout tranquillement. Je peux clairement ressentir sa curiosité. Et là, wouhaou ! Moment incroyable ! J’ai complètement oublié ma panique et j’observe l’animal. Sa tête, son regard, son flanc, sa nageoire, le reste de son corps, sa queue. C’est un défilement tout en longueur, comme au ralenti. Mon fils me dira ensuite que la taille de son œil faisait « au moins quatre fois la taille d’un œil humain ! » et qu’il a bien vu qu’il observait tout le monde.
Je regarde à nouveau la mère au fond, le mâle toujours en position verticale, les deux parfaitement immobiles. Je ressens une paix qui émane d’eux, qui irradie littéralement tout l’espace. Imposante. Ces animaux semblent être la paix incarnée sur Terre. Je pose ma main sur mon cœur, une vague d’une immense gratitude s’empare de moi. J’ai envie de pleurer dans mon masque. Je remercie cette mère, dont la race – les baleines à bosse – est l’une des plus chassées au monde encore à l’heure actuelle. Surtout les mères car elles nagent moins vite et doivent s’arrêter plus souvent pour que leur petit puisse se reposer. Et pourtant, face à ses pires prédateurs, elle est laisse son baleineau faire le curieux, en toute liberté. Elle est juste remontée un peu mais n’a pas bougé d’un pouce. Que sait-elle au juste ? Que pressent-elle ? C’est difficile à dire. En tout cas, elle le laisse nous offrir la fabuleuse expérience de l’admirer de très, très prêt. Nous sommes une toute petite poignée d’êtres humains, là, dans le moment, à vivre pleinement cette incroyable et innocente curiosité mutuelle. C’est un moment hors du temps, où l’homme et l’animal peuvent s’observer, communiquer aussi, vibratoirement, avec amour et en toute innocence.
Je me rends compte que là est le monde dans lequel je souhaite vivre, que nous sommes en train de le créer, à cet instant précis. Ce petit groupe d’êtres humains en compagnie de ce petit groupe de baleines, nous participons à créer un monde meilleur !! C’est juste fabuleux !! Fabuleux !!
Le baleineau est allé rejoindre sa mère, un peu plus au fond et ils se remettent en route, s’éloignant de nous en remontant très progressivement à la surface.
Nous, nous remontons sur le bateau qui nous a rejoints. Moment d’enthousiasme où chacun se raconte dans l’expérience qu’il a vécue. Puis, le silence revient, ponctué à nouveau de petits « Oh bello ! ». Nous continuons de les suivre.
Nouvelle descente du bateau. Nous nous approchons des baleines qui se sont arrêtées, en surface cette fois. Le groupe humain est à l’arrière du groupe des baleines et moi, je suis à l’arrière du groupe humain ! Je peux voir clairement ces incroyables créatures, à une distance qui me convient. Le mâle et la femelle sont dans une immobilité totale, c’est impressionnant. Le baleineau, quant à lui, revient sur le groupe une fois de plus, toujours curieux. J’observe à nouveau plusieurs choses en même temps : le baleineau qui tortille de la queue, s’agite, joueur, face au groupe et mon fils qui file comme le vent au travers du groupe pour se rapprocher le plus possible … cette queue qui se tortille et s’agite … Je ressens que, peut-être, il est un peu énervé maintenant, comme les tout-petits quand ils ont été trop sollicités. Nouveau moment d’émotion forte pour moi. Je ne peux rien faire pour arrêter mon fils, je suis trop loin, alors mon cœur s’arrête de battre … Puis, je vois deux bras, celui d’Ariane et celui d’une des italiennes qui viennent faire barrage et le stoppent net. Mon cœur recommence à battre mais je n’en peux plus. Je me dis que de retour sur le bateau, je n’en redescendrai plus. C’est beaucoup pour une seule femme dans une même journée !
Pourtant, je ne peux que constater une fois de plus que la Vie est là, qu’elle nous soutient. Je le sais depuis longtemps déjà mais la maman humaine que je suis vit encore parfois certaines peurs.
Je sais aussi que tout cela fait sens pour celle que je suis, à ce moment précis. Les émotions que j’ai eues, je les ai accueillies, pleinement. En conscience, comme à mon habitude. Elles faisaient partie de l’expérience. Elles étaient destinées à me libérer de peurs encore présentes en moi. Mais c’était aussi une extraordinaire matinée dont j’ai goûté, apprécié toute la beauté. La Vie, dans sa diversité, nous offre des moments fabuleux quand on veut bien s’accorder de les vivre. Je n’en reviens encore pas, tellement c’était fabuleux !
FA-BU-LEUX !!!
Merci la Vie !!!
Michèle